Loi sur l’immigration : le grand décryptage de la démographe Michèle Tribalat

21 Jan 2018 | Revue-de-Presse | 0 commentaires

La politique d’immigration d’Emmanuel Macron a suscité la colère d’une partie de la gauche. On se souvient notamment de la une du Nouvel Obs avec des barbelés, et ce titre: «Bienvenue au pays des droits de l’homme». De nombreux politiques accusent Macron de mener une politique plus sévère que celle de Nicolas Sarkozy. Est-ce vraiment le cas?

Michèle TRIBALAT.- La comparaison pourra vraiment être faite lorsqu’on connaîtra le texte de loi. Il y a beaucoup d’excitation pour un texte qui n’est pas encore complètement fini, et dont on ne connaît que certaines orientations grâce au document présenté aux associations.

Deux sujets ont retenu l’attention médiatique, la réforme de l’asile pour accélérer les procédures et les mesures envisagées pour «resserrer les boulons» dans les procédures d’éloignement. D’ailleurs, ce deuxième volet est bizarrement titré «Renforcer l’efficacité et la crédibilité de la lutte contre l’immigration irrégulière». Il faudrait plutôt parler de séjour irrégulier. Le gouvernement cherche à faire un peu mieux pour expulser ceux qui sont déjà sur le territoire sans en avoir le droit. Quant à l’accélération des procédures d’asile, on ne peut à la fois se plaindre de leur lenteur et se lamenter sur la tentative de faire plus vite. Plus elles traînent, plus le séjour des demandeurs d’asile se prolonge et plus les lieux d’accueil sont engorgés. C’est d’autant plus vrai que leur nombre a fortement augmenté. Le projet prévoit d’ailleurs la création de 7 500 places d’accueil supplémentaire en 2018-2019.

On voit bien comment les deux volets s’articulent. La demande d’asile, au-delà de sa vocation traditionnelle, est devenue le moyen de tenter de régulariser sa situation quand on n’a aucun autre motif à faire valoir. C’est un peu la solution de la dernière chance pour obtenir un statut. Dans l’esprit du gouvernement, il faut donc que ces procédures ne traînent pas si l’on veut qu’elles soient suivies, en cas d’échec, d’une procédure d’éloignement qui ait un peu plus de chances d’être exécutée.

Macron s’inscrit-il dans la continuité de ses prédécesseurs ou peut-on parler de rupture?

En dehors de ces deux volets motivés par le développement de l’immigration irrégulière ces dernières années – filtrage par la procédure d’asile et éloignements des déboutés – rien, dans le projet, n’indique une volonté de limiter l’immigration étrangère en France, comme c’était le cas de Nicolas Sarkozy par exemple. Certaines dispositions, présentées dans la partie intitulée «Améliorer les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers en situation régulière» ou dans celle traitant de la protection humanitaire, élargissent, au contraire, le champ des possibilités.

our la première, ces ouvertures se font en direction des plus qualifiés avec une extension du passeport-talent et une transposition de la directive «étudiants-chercheurs» (qui devait de toute façon se faire) en vue de faciliter leur installation en France. Pour la seconde, il s’agit, par exemple, de substituer un premier titre de séjour de quatre ans à un titre d’un an pour les étrangers qui bénéficient d’une protection subsidiaire ou qui sont apatrides, et d’étendre le regroupement familial auprès des réfugiés mineurs, au-delà des ascendants directs, aux frères et sœurs. Cette dernière mesure, quand on sait le développement exponentiel des arrivées spontanées de mineurs (qui ne sont d’ailleurs pas tous mineurs et sont plutôt des garçons proches de leur majorité) en Europe ces dernières années, recèle un potentiel d’entrées non négligeable. Elle crédibilise le projet de familles qui envoient leur grand garçon, en éclaireur, essayer de trouver un avenir meilleur en Europe.

Le débat sur l’immigration se focalise sur la question des réfugiés. Doit-il se limiter à cela?

Le débat se focalise, comme toujours, sur ce qui apparaît le plus pressant et ce sont les arrivées irrégulières massives en Europe d’un grand nombre d’étrangers en 2015-2016 qui ont absorbé toute l’attention des médias.

our beaucoup, le nombre de personnes en situation irrégulière sur le territoire est incompressible. Est-ce vraiment le cas?

On ne sait évidemment pas combien d’étrangers sont actuellement en situation irrégulière en France, mais il se trouve donc des gens pour juger leur nombre «incompressible»! Je suppose que ce que l’on entend par là c’est qu’on ne peut rien contre les décisions prises ailleurs de venir en France, et plus largement en Europe. Comme on ne peut (veut?) pas renvoyer ces étrangers, on doit faire avec. C’est une manière de naturaliser l’immigration. Cette dernière serait un phénomène naturel au même titre que les tempêtes qui viennent de toucher le nord de l’Europe. L’immigration est absolument dépolitisée, au vrai sens du terme, et non au sens politicien des prises de bec sur les plateaux de télévision.

La question de l’immigration régulière est éludée. Pourtant, elle augmente ces dernières années… Comment expliquez-vous cette progression? Est-ce lié au regroupement familial?

On ne retient généralement que les deux dernières années pour commenter l’évolution de l’immigration étrangère en France et on en parle dans la presse lorsque le ministère de l’Intérieur met en ligne, en janvier, son estimation des nouveaux premiers titres de séjour délivrés aux étrangers en provenance de pays tiers (à l’Espace économique européen et à la Suisse) dans l’année qui vient de se terminer.

Le nombre de premiers titres délivrés augmente, quasiment sans interruption depuis 1997.

Or, si l’on suit ces données depuis suffisamment longtemps, on se rend compte que le nombre de premiers titres délivrés augmente, quasiment sans interruption, depuis le début de la série rendue publique par le ministère de l’Intérieur. En vingt ans, de 1997 à 2017, ce nombre est passé d’un peu moins de 120 000 à un peu plus de 260 000. En un an, un peu plus de 30 000 titres supplémentaires ont été délivrés, principalement pour raison humanitaire (asile…), pour motif économique et pour des venues d’étudiants. Les estimations de l’Insee sur une période plus courte (2006-2015), montrent aussi une augmentation des entrées d’immigrés en France.

Une enquête à l’Ifop concernant le rapport des Français au «complotisme» (sic) a montré que près de 50 % d’entre eux croient à la théorie du «grand remplacement». Comment expliquez-vous cette perception?

48 % sont d’accord avec l’opinion proposée par l’IFOP selon laquelle l’immigration, «c’est un projet politique de remplacement d’une civilisation par une autre, organisé délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d’où elles viennent».

L’idée de grand remplacement lancée par Renaud Camus doit son succès à son pouvoir d’évocation de l’effondrement de l’univers familier ressenti par une partie de la population française, qu’à une vérification empirique convaincante. Ajoutons à cela qu’il s’est trouvé des amateurs pour faire quelques calculs de coin de table ayant l’air de confirmer l’imminence de la chose.

Mais je crois que l’idée selon laquelle il y a un projet derrière tout cela provient du fait que les gens n’aiment pas croire que ça pourrait se produire sans avoir été soigneusement planifié. Les gens préfèrent penser qu’un phénomène a toujours une cause bien identifiée. Ça a un côté rassurant parce que cela laisse supposer qu’il suffirait d’une planification différente pour y mettre un terme. Pour le psychologue belge Albert Michotte, cité par Daniel Kahneman dans son livre Système1/système2: les deux vitesses de la pensée, nous avons une propension à voir des causalités aussi directement que nous voyons les couleurs.

Cependant je trouve que la deuxième partie de l’énoncé de l’opinion proposée par l’IFOP est ambigüe. De quelles populations s’agit-il? Des migrants qui arrivent ou de ceux qui sont là depuis longtemps? C’est déjà problématique de proposer les deux énoncés en même temps, mais laisser planer le doute sur ceux qui pourraient être renvoyés ouvre la porte à toutes sortes d’interprétations qui ne reflètent pas forcément l’opinion réelle des gens qui sont interrogés.

Selon une étude du Pew Research Center, il y aura 18% de musulmans en France en 2050. Cette étude est-elle fiable?

Les projections ne sont pas un exercice de divination.

Le Pew ne dit pas vraiment cela: j’ai traité ce sujet dans un article sur mon blog. Il dit que, si l’on suit les hypothèses qu’il énonce, la proportion de musulmans en France pourrait atteindre 18 % en 2050. Ce cas correspond à un régime migratoire qui ressemblerait à celui connu entre mi-2014 et fin 2016. On a fait beaucoup de reproches au Pew, inspirés soit par une grande mauvaise foi soit par une ignorance de ce qu’il avait vraiment fait. Contrairement à ce qui a été dit, le Pew introduit une fécondité musulmane déclinant au fil de temps. Il ne suppose pas non plus qu’on naisse musulman parce que ses parents le sont… Par ailleurs, le Pew ne prétend pas que c’est ce qui va se passer. Les projections ne sont pas un exercice de divination. Elles sont conditionnées par les hypothèses et par la connaissance que l’on a du phénomène projeté en début de période. C’est vrai de tous les exercices de projections et pas seulement ceux du Pew. C’est particulièrement vrai, par exemple, des projections démographiques des Nations unies qui incluent des pays pour lesquels on ne sait pas grand-chose.

Michèle Tribalat a mené des recherches sur les questions de l’immigration en France, entendue au sens large, et aux problèmes liés à l’intégration et à l’assimilation des immigrés et de leurs enfants. Elle est notamment l’auteur de Statistiques ethniques, une querelle bien française  (éd. L’Artilleur, 2016).

 

source: le figaro.fr

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