Le gouvernement rétropédale sur le préjudice écologique

2 Mar 2016 | Revue-de-Presse | 0 commentaires

L’inscription du préjudice écologique dans le code civil devait être l’une des avancées majeures du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, qui, après son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, en mars 2015, puis par le Sénat, en janvier 2016, reviendra devant les députés, en deuxième lecture, à partir du 15 mars. Préalablement à cet examen en séance publique, le texte devait être débattu, à compter de mardi 1er mars, en commission du développement durable de l’Assemblée nationale.
Or, avant l’ouverture des travaux de cette commission, le gouvernement avait déposé un amendement qui remettait en question la reconnaissance du préjudice écologique, en sapant le principe même du pollueur-payeur. Suscitant un tollé parmi les défenseurs de l’environnement, il a finalement été retiré au terme de vifs débats.
Le texte issu des travaux du Sénat introduisait dans le code civil le fait que « toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer ». Il précisait que cette réparation « s’effectue prioritairement en nature », c’est-à-dire par une restauration du milieu aux frais de celui qui l’a dégradé. Ou, si cette remise en état est impossible, par « une compensation financière versée à l’Etat ou à un organisme désigné par lui et affectée (…) à la protection de l’environnement. » Lire aussi :   Le Sénat sort des limbes le préjudice écologique
Ces termes étaient une façon de conforter, dans le droit français, le principe du préjudice écologique, né à la suite de la catastrophe de l’Erika, un pétrolier affrété par Total qui, le 12 décembre 1999, s’était brisé au large du Finistère, relâchant 20 000 tonnes de fioul lourd et souillant de mazout 400 kilomètres de côtes bretonnes et vendéennes. En 2012, la Cour de cassation avait créé une jurisprudence en reconnaissant le préjudice écologique. Et, en plus des dommages et intérêts accordés aux parties civiles, Total avait déboursé 200 millions d’euros pour le nettoyage des plages.
« Régression incompréhensible » C’est cette jurisprudence qui était mise à mal avec l’amendement déposé par le gouvernement. Son premier paragraphe ne posait pas de problème : « Indépendamment des préjudices réparés suivant les modalités du droit commun, est réparable (…) le préjudice écologique résultant d’une atteinte anormale aux éléments et aux fonctions des écosystèmes ainsi qu’aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. »
Mais le deuxième paragraphe démontait cet édifice, en précisant que « n’est pas réparable, sur le fondement du présent titre, le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France  ou par un titre délivré pour leur application. » En clair, au motif qu’ils résulteraient d’activités autorisées, les dégâts causés à l’environnement, par exemple par un accident industriel, n’appelleraient pas de réparation. Et les responsables des dommages seraient dispensés d’en supporter le coût.
« Il s’agit d’une régression incompréhensible, a estimé Laurent Neyret, juriste spécialisé en droit de l’environnement. C’est comme si l’on disait que les victimes d’un médicament comme le Mediator, parce qu’il avait été autorisé, n’avaient droit à aucune indemnisation. Une sorte d’immunité pour cause d’autorisation administrative. » Ce faisant, a-t-il ajouté, « un texte destiné à réparer le préjudice écologique se transforme en texte protégeant ceux qui causent ce préjudice. » « Total l’a rêvé, la loi le fait » « Quinze ans d’efforts avec les élus atlantiques pour gagner (sur) l’Erika détruits par trois articles infâmes d’une loi. Total l’a rêvé, la loi le fait ! », s’est de son côté indignée sur Twitter Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement et présidente du mouvement Le Rassemblement citoyen-CAP 21. Et d’inviter à « une pétition contre l’abolition du principe du pollueur-payeur. »
Même s’il n’est peut-être pas directement le résultat du lobby des industriels, cet amendement ne pouvait en tout cas que répondre à leurs vœux. Lors de l’examen en première lecture de la loi sur la biodiversité, le Medef estimait que l’inscription du préjudice écologique dans le code civil allait « ajouter des contraintes supplémentaires à l’activité économique » et « créer des risques juridiques pour les entreprises. »  
 Pierre Le Hir
Journaliste au Monde

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