Benoît-et-moi 2017 a traduit un article éclairant de La Bussola sur les événements à Charlottesville. Extraits :
« Les faits en bref: à Charlottesville, dans une manifestation d’extrême droite, commencée vendredi soir, et qui incluait aussi le Ku Klux Klan, les anti-fascistes américains ont réagi avec des contre-manifestations. Samedi matin il y a eu une escalade. Le cortège antifasciste s’est heurté à des militants de droite, malgré les efforts de la police (qui a dû annuler les permis de manifester). En fin de compte, on a enregistré 15 blessés des deux côtés. Mais à 2 heures de l’après-midi, heure locale, une voiture conduite par un jeune de vingt ans, un certain James Fields, s’est lancée à toute vitesse contre la marche antifasciste, avec l’intention claire de provoquer un massacre. C’est un acte de terrorisme intérieur. Une femme de 32 ans, Heather Heyer est la victime. 19 autres manifestants ont été blessés. Les médias pointent du doigt Trump. Ils l’accusent explicitement de ne pas avoir condamné sans équivoque l’extrême-droite. Considérant que la victime était dans un cortège de gauche, cette accusation des médias contre Trump est pertinente. La presse accuse également Trump d’avoir dédouané l’extrême droite et donc d’être implicitement responsable de l’affrontement mortel de samedi. Mais c’est hors-sujet. La cause de la violence est antérieure à l’administration Trump.
L’origine du conflit est un monument. A Charlottesville, on a proposé d’enlever la statue équestre du général Robert E. Lee, commandant en chef l’armée du Sud dans la guerre de Sécession (1861-1865). C’est depuis avril que la droite locale protestait contre cette idée. Dans la manifestation de vendredi, la droite, réunie sous le sigle Unite the Right, émanation de la Alt Right (la droite, organisée notamment sur Internet, qui a soutenu la campagne de Donald Trump), avait l’intention initiale de défendre la liberté d’expression. Toutefois, à la fin, on n’a pas beaucoup vu de liberté, et en compensation, le cortège s’est rempli de néo-nazis, du Ku Klux Klan et de suprémacistes blancs. De l’autre côté de la barricade s’étaient donnés rendez-vous, venant de toute l’Amérique, des mouvements d’extrême gauche et Black Lives Matter, la version années 2000 du Black Power.
Pourquoi un affrontement aussi violent et aussi idéologique autour d’une statue dédiée à un personnage historique d’un siècle et demi auparavant? Le visiteur européen peut rester très surpris de voir autant d’hommages aux vaincus de la guerre civile. En Italie, par exemple, il serait impossible de trouver dans le Centre et le Sud des monuments dédiés aux généraux des armées pontificales et des Bourbons, qui se sont battus contre les Savoie et Garibaldi. En Italie, depuis un siècle et demi, l’effort politique et culturel a consisté en un vaste processus d’unification à travers la rééducation, qui inclut la «damnatio memoriae» des ennemis du Risorgimento [ndt: la même chose vaut en France, avec la Révolution, et par exemple, l’insurrection vendéenne]. Les États-Unis, en revanche, sont et restent un pays fédéraliste. En 1861, la Fédération s’est déchirée sur les valeurs fondamentales, à la fois sur l’esclavage (que le Sud voulait préserver) et les droits des États à leur pleine autonomie gouvernementale (que le Nord voulait redimensionner sinon supprimer). Pour réparer la déchirure, après cinq ans de guerre, 650 mille morts et une période d’occupation dure des États du Sud, on est parvenu à une sorte de compromis culturel. Chaque État célèbre ses morts. Des livres et des films à succès, comme Autant en emporte le vent, et des monuments et des musées dédiés à la mémoire des héros de la Confédération, sont la manifestation de cette pacifification culturelle. Ou plutôt, étaient.
C’est la gauche progressiste américaine qui a rompu l’équilibre. Elle a décidé de se comporter à l’européenne. Au nom de l’ antiracisme, elle a décrété la damnatio memoriae des Sudistes, le retrait (quand et si possible) des monuments qui leur sont dédiés, tandis que les drapeaux confédérés sont abaissés. Ce n’est pas seulement la gauche, qui le veut, mais aussi la droite. Sans oublier que le Parti républicain fut celui de Lincoln, du Nord, et des années 50 du XXe siècle, et aussi des droits civils contre la ségrégation raciale. C’est Nikki Haley, actuelle ambassadeur à l’ONU de l’administration Trump, qui a fait abaisser le drapeau confédéré devant son palais de gouverneur de Caroline du Sud.
La gauche et les républicains anti-racistes ont pourtant, intentionnellement ou non, idéologisé l’histoire. Ils ont transformé la mémoire de la plus sanglante guerre des États-Unis en une lutte, encore en cours, contre le racisme. Et ainsi, l’idéologisation promue par les autorités, a permis aux extrémistes idéologiques de descendre sur le terrain. A gauche, sur le front de l’anti-racisme, est né et a grandi le mouvement noir Black Lives Matter. Obama, durant son second mandat (2012-2016) a toujours montré une certaine tolérance envers lui, même après les manifestations les plus violentes. Pas même après l’assassinat de cinq policiers à Dallas, en 2016, le Président Obama n’a condamné fermement le climat de haine créé par des extrémistes de gauche. Et à cette époque, les médias (les mêmes médias qui aujourd’hui condamnent la complaisance de Trump pour la droite) n’ont rien trouvé à redire.
Ce «climat infâme» a permis à un monstre symétrique et opposé de refaire surface, le racisme blanc, qui semblait cantonné aux livres d’histoire et qui au contraire, au moins durant les deux dernières années, a recommencé à se mobiliser, d’abord sur le Web, puis aussi dans les rues. Ainsi, à cause de la lutte entre racisme et anti-racisme, les Etats-Unis commencent à connaître, avec près d’un siècle de retard, la lutte entre les «fascistes» et les «anti-fascistes». Dans un pays qui n’a jamais connu le totalitarisme dans sa chair. »
Source : http://benoit-et-moi.fr/2017/actualite/usa-racisme-et-anti-racisme-.html
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lesalonbeige
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