Président de la Fondation pour l’islam de France, Jean-Pierre Chevènement propose la création d’une université destinée aux imams.
Véritable serpent de mer, l’organisation de l’islam de France est l’une des priorités de la Fondation que préside depuis un an Jean-Pierre Chevènement. L’ancien ministre de l’Intérieur de Jospin (1997-2000) présente, ce jeudi matin, des pistes pour avancer, quitte à bousculer la loi de 1905. Il propose ainsi la création d’une université pour former les imams, financée par de l’argent public. Le débat s’annonce chaud.
Quel est le bilan de la Fondation pour l’Islam de France que vous présidez, à l’heure où Emmanuel Macron rouvre le chantier de l’organisation de l’Islam ?
Jean-Pierre Chevènement. Le président de la République souhaite accélérer l’organisation de l’Islam de France. Ce chantier, je l’ai ouvert il y a 20 ans lorsque j’étais ministre de l’Intérieur. Il est, en effet, temps d’accélérer. Nous souhaitons y contribuer, à notre place, au sein de la Fondation de l’Islam de France. Notre but est de combattre l’idéologie salafiste, terreau du terrorisme islamiste, en ouvrant des chemins d’élévation intellectuelle, morale, spirituelle et en contribuant notamment à une meilleure connaissance de l’Islam et de ce que sont aujourd’hui les musulmans de France. La Fondation s’adresse à tous les Français. Elle n’est pas une autorité religieuse. L’instance représentative du culte, que j’ai contribué à mettre en place de 1997 à 2000, c’est le Conseil français du culte musulman.
Faut-il dépasser le CFCM ?
Le problème vient essentiellement de la domination de fait du CFCM par les trois fédérations de mosquées des principaux pays d’origine de l’immigration – Algérie, Maroc, Turquie. Le président de la République a souhaité que soit améliorée la représentativité du CFCM. Des élections sont prévues en 2019. Il y a une marge de négociation entre les musulmans en France et la puissance publique pour définir les contours d’une instance qui permettrait, par exemple, de remédier à l’insuffisante formation des imams et de drainer les financements nécessaires à leur rémunération.
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Comment concrètement l’Etat peut mieux intégrer l’Islam à la République sans toucher à la Loi de 1905 ?
Il y a 2500 lieux de culte musulman en France et 700 imams rémunérés, dont 300 le sont par les Etats d’origine de l’immigration. Il serait bon que les futurs imams et aumoniers aient une formation en théologie comparée, en histoire, en philosophie et en droit qui leur permette de restituer le message de l’Islam dans toute sa diversité et sa profondeur historique.
Comment y parvenir ?
Nous ne pouvons pas intervenir dans la formation religieuse. Mais nous encourageons déjà une formation profane au sein de la Fondation. Des pôles publics d’islamologie sont en train d’être mis en place dans 5 grandes villes universitaires. Nous avons accordé des bourses à 400 étudiants qui préparent des diplômes universitaires « Laïcité Société Religions ». Nous aidons aussi les imams à perfectionner leur français, car beaucoup ne le parlent pas suffisamment. Le prêche du vendredi doit se dire en français même si l’arabe est la langue du Coran. Au total, notre objectif est de favoriser l’émergence en France d’un Islam cultivé qui sera la meilleure réponse à l’idéologie fruste et brutale du salafisme.
Une taxe sur le halal pour remplacer les financements étrangers, vous y êtes favorable ?
Oui. Une redevance ou une contribution volontaire à une association cultuelle permettrait de payer convenablement les imams et de les inciter à faire des études longues, comme cela est le cas pour les curés, les pasteurs, les rabbins qui sont formés à bac +5.
La société française, depuis les attentats, vit en situation tendue, votre réponse par la culture et l’éducation n’est pas angélique ?
Non, elle est juste. La France a montré une forte résilience. Nos concitoyens n’ont pas fait d’amalgame entre une poignée de djihadistes et la grande masse des musulmans. L’opinion ne s’est pas égarée sur des chemins de surenchères mortifères.
Sur la laïcité, le président doit parler plus fort ? Il a évoqué une forme de « radicalisation de la laïcité » ?
A ma connaissance, la laïcité n’a tué personne en France. Il vaut mieux la définir historiquement : elle est plus que la tolérance, elle a une dimension culturelle, émancipatrice. Le président s’est exprimé avec force dans le discours de rupture de jeûne du CFCM en juin dernier. « Fonder son identité politique et sociale sur sa seule foi, c’est admettre que sa foi n’est pas compatible avec la République », a-t-il dit. Ce qu’on demande aux musulmans, c’est d’appliquer la loi républicaine. Il faut être ferme là-dessus. Les religions doivent observer une certaine retenue dans l’espace public de débat où les citoyens doivent s’exprimer de manière argumentée.
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Mais concrètement alors, comment avancer sur cette organisation de l’Islam ? La loi de 1905 doit-elle être modifiée ?
Je regrette que l’Islam se soit installé en France seulement après la loi de 1905. Parce que toutes les religions ont bénéficié d’un coup de pouce initial, de la part de l’Etat. Pour l’Islam il faudrait qu’une négociation s’engage entre les autorités musulmanes et l’Etat pour que certaines mesures puissent être prises, auxquelles on n’a peut-être pas pensé jusqu’à présent.
Par exemple ?
On a évoqué le sujet crucial de la formation des imams : à la faveur des dispositions qui s’appliquent en Alsace-Moselle, ne serait-il pas possible de créer une faculté de théologie musulmane à Strasbourg ?
Avec de l’argent public ?
Les universités fonctionnent avec l’argent public. Il y a une faculté de théologie catholique, une autre protestante. Le principe de séparation posé par la loi de 1905 ne doit pas être interprété de manière telle qu’il devienne un obstacle à l’organisation d’un culte musulman conforme aux principes républicains.
Peut-on y remédier ?
C’est une question que la République doit être capable de poser sereinement. Ne peut-on pas donner un petit coup de pouce, par voie négociée, qui permette une meilleure organisation du culte musulman ? La République laïque n’est pas un régime de faiblesse. Elle doit se donner les moyens de faire respecter les principes républicains sans reculer devant le pragmatisme dont ont su faire preuve en leur temps les pères de la loi de 1905.
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