« Un petit village d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur… » Plus à l’est, 2000 ans après Astérix, les Roumains se battent à l’inverse pour préserver l’héritage de l’ère romaine, dont l’apprentissage du latin.
La Roumanie fait figure à part en Europe: étudier la langue de Jules César est aujourd’hui obligatoire au collège en troisième, à raison d’une heure par semaine, ainsi que dans les filières littéraires des lycées. L’Italie, berceau de l’Antiquité romaine, a elle abandonné le latin obligatoire au collège en 1977.
Mais ce statut privilégié ne fait pas l’unanimité: une réforme de l’éducation lancée en 2016 a proposé de rayer cette langue du cursus des collèges pour permettre aux élèves de se concentrer sur des disciplines « plus en phase avec les temps modernes ».
Ce projet a toutefois suscité une levée de boucliers inattendue: « De nombreuses voix au sein de la société se sont mobilisées pour défendre le latin », avec notamment une pétition en ligne et des mémoires adressés aux initiateurs de la réforme, rappelle à l’AFP Theodor Georgescu, professeur de langues classiques à l’Université de Bucarest.
« Il n’est pas normal qu’un gouvernement éphémère décide du sort d’une langue étudiée depuis des millénaires », s’insurge-t-il, rappelant que « le latin représente le fondement de la culture humaniste ». Et le socle linguistique du roumain, une langue latine perdue au milieu d’un océan slavophone.
‘Devoir patriotique’
Devant cette avalanche de critiques, le ministère de l’Education a fait marche arrière, maintenant une heure de latin au collège.
Si le latin n’était plus étudié, « ce serait un désastre (…) car c’est la langue de nos ancêtres et nous avons le devoir patriotique de l’apprendre », estime Gheorghita Cucu enseignante au lycée I.C. Bratianu de Pitesti (sud).
En classe, elle alterne des notions de grammaire avec des proverbes latins et des anecdotes tirées de l’histoire de l’Empire romain pour familiariser ses élèves avec cette « langue morte ».
Morte ? « Le latin vit toujours à travers les langues romanes qui en sont issues », dont le français, l’italien, le portugais, l’espagnol et le roumain, estime l’un de ses élèves, Alexandru Cretu, 18 ans.
« Le latin offre un accès direct à une vaste culture et t’apprend à penser », ajoute ce lauréat de plusieurs concours nationaux de latin.
Alexandru, pour qui le latin « est un moyen de (se) relaxer », et trois autres lycéens roumains se sont qualifiés pour un concours international de latin mi-mai à Arpino, en Italie. Mme Cucu espère qu’il y sera couronné de lauriers, à l’instar de plusieurs de ses anciens élèves.
Ceausescu versus Moscou
lus qu’un caprice d’érudits, l’étude du latin a toujours représenté un enjeu culturel et géopolitique majeur pour la Roumanie, un pays situé à un carrefour entre l’est et l’ouest de l’Europe et cible au fil de l’Histoire des visées expansionnistes de plusieurs empires, de l’Autriche-Hongrie à l’Empire ottoman en passant par la Russie.
« La latinité a été utilisée dans l’Histoire comme une arme politique », résume M. Georgescu.
A l’époque communiste encore, l’URSS a tout fait pour minimiser l’héritage latin dans la culture roumaine, insistant a contrario sur l’importance des influences slaves, rappelle-t-il.
Sur ordre de Moscou, les autorités communistes roumaines interdirent ainsi l’étude du latin dès 1948. Et décrétèrent en 1953 une réforme visant à éliminer les « excès latins » de l’orthographe roumaine.
L’étude obligatoire du latin fut réintroduite dans les collèges dans les années 1970, alors que le dictateur Nicolae Ceausescu s’efforçait de prendre graduellement ses distances par rapport à Moscou.
« Même si cela faisait suite à une décision politique, le résultat en a été bénéfique pour les élèves », estime M. Georgescu.
Il faudra toutefois attendre la chute du Rideau de fer en 1989 pour que le roumain recouvre son orthographe originelle. La fin du communisme a parallèlement correspondu à l’octroi d’une nouvelle protection aux langues minoritaires du pays, comme le magyar ou l’allemand.
M. Georgescu se dit prêt à mener une nouvelle bataille si l’apprentissage du latin était encore une fois menacé: « Il est important de ne pas avoir d’interruption car il faut des générations entières pour former un corps professoral capable de l’enseigner ».
source: RTBF.be
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