Plus de 2 770 personnes ont été ont été dirigées, vendredi, vers des gymnases réquisitionnés en Ile-de-France. La 34e opération de ce type à Paris depuis juin 2015.
C’est un appartement « typiquement parisien », décrit sa locataire. Un deux-pièces au onzième étage, avec « carrelage et vue sur la misère humaine ». Vers Saint-Ouen « le camp de Roms », en bas « les toxicomanes », et « sous le périphérique, les migrants », résume Laura, qui dit pouvoir tenir « un Google Maps de la pauvreté ».
C’est de ce perchoir que, « mi-soulagée, mi-triste », cette aide -soignante a assisté, vendredi 7 juillet au matin, à l’évacuation de ce qui était appelé « le campement de la porte de la Chapelle ». Un village en vérité : 2 771 personnes ont été emportées par un ballet de cinquante-deux bus, vers une vingtaine de gymnases réquisitionnés en Ile-de-France.
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Marée de tentes et de matelas
Depuis plusieurs semaines, ils étaient toujours plus nombreux à venir s’échouer au pied de cette porte de la Chapelle, qui a depuis bien longtemps perdu sa fonction de passage.
A son seuil, sous le nœud de béton du périphérique, s’étendait une marée de tentes et de matelas installés à même le sol, dans des conditions rendues encore plus difficiles par les chaleurs du début d’été – le site disposant seulement de trois points d’eau et de sept latrines. Dans le moindre recoin, entre les corps amorphes et maltraités par le soleil et le bitume brûlant, les odeurs prenaient à la gorge.
« J’ai tellement transpiré que je ne sais plus ce qui est ma peau ou mon T-shirt », raconte Aldein, un Soudanais de 26 ans, passé sous les ciseaux la veille pour « couper tout, très court ». Il en a encore des trous dans la tête. Depuis plus d’un mois, la gale et les poux avaient trouvé dans le campement un terrain de jeu sans égal : plusieurs centaines de personnes ont été touchées par les parasites depuis le début de juin.
Alors s’est imposée une énième évacuation. La trente-quatrième d’un campement de migrants à Paris, depuis juin 2015, selon la préfecture. « On commence à être rodés », reconnaît l’une de ses responsables en décrivant le dispositif mis en place vendredi matin. Les migrants avancent dans le calme, par groupe de vingt-cinq, accèdent à la cour du centre humanitaire, puis se détachent en deux longues files, dans lesquelles leur sont distribués une brioche, un fruit et de l’eau. Avant d’être appelés à monter dans un bus.
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Monticules de déchets
« C’est plus organisé, plus simple, il n’y a ni gaz ni coup », constate un peu soulagée Maria, une volontaire de France terre d’asile qui était là lors de la dernière évacuation, le 9 mai, au même endroit précisément. C’est là qu’est installé depuis neuf mois ce qu’on pourrait confondre de loin avec un chapiteau jaune, blanc et gris. « C’est vrai que ça ressemble à un cirque, tout ça », dit Maria en balayant de la main la vue, visage las de celle qui n’a « dormi qu’une demi-heure ».
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Structure inédite, le centre de premier accueil de la Chapelle, géré par Emmaüs solidarité et la Ville de Paris, a ouvert en novembre 2016 pour accueillir les « primo-arrivants ». Pendant cinq à dix jours, les migrants étaient censés pouvoir s’y reposer avant d’être redirigés vers l’un des 301 centres d’accueil et d’orientation dans toute la France. Depuis son installation, il a permis à 12 000 migrants d’être ainsi « réorientés ».
Mais avec une capacité d’accueil de 400 personnes, la « bulle » s’est vite mise à craquer de toute part, faute de sorties suffisantes pour le nombre d’arrivées, toujours plus nombreuses l’été ; 200 personnes supplémentaires chaque semaine, selon les associations.
Ces derniers temps, il n’y avait même plus de queue pour tenter d’entrer dans le centre : les associations n’organisaient plus que des maraudes pour repérer les personnes en grande détresse et leur fixaient un rendez-vous pour les faire entrer au compte-gouttes. Les autres restaient là, sur leur bout d’asphalte, entre les monticules de déchets qui s’accumulaient.
« Dans le centre, ceux qu’on voyait avaient une chambre, un nécessaire de toilette », explique Julie, une bénévole d’Emmaüs, qui apporte quelques bouteilles d’eau dans les files de migrants. « C’est dur de les voir tellement nombreux ce matin, de voir tous ceux qui n’ont jamais pu accéder au centre », soupire la jeune fille au visage marqué. « Ils sont si nombreux », répète-t-elle, dissimulant mal un vertige dans la voix. Avant de reconnaître que « tout le monde est soulagé, y compris eux ».
Lire aussi : Hidalgo veut une loi pour favoriser « l’accueil et l’intégration des migrants »
« Avec l’expérience, on commence à les sentir arriver »
armi les derniers à patienter sur le boulevard Ney, c’est le seul à afficher un grand sourire dans ce groupe de huit hommes rassemblés autour d’une enceinte bricolée au ruban adhésif, qui crachote le dernier album du rappeur américain Jay-Z. Aved, un Afghan de 32 ans, jubile d’avoir été « si bien inspiré » depuis qu’à 6 heures il a été réveillé par son colocataire de tente, qui lui chuchotait « police ».
La veille, il a remonté le boulevard de la Chapelle pour aller « faire les soldes ». Avec un billet de cinq euros donné par un voisin qui l’accueille parfois le temps d’un café, il s’est acheté un sac à dos noir de toile. « Je sentais qu’il fallait que je rassemble mes affaires pour ne rien perdre cette fois », raconte le petit brun à la voix rauque, qui liste « tout ce qu’il possède » en levant ses doigts pour être sûr de ne pas en oublier : « Un pull, une casquette, un chargeur de téléphone, des écouteurs, et un carnet donné par une bénévole. »
C’est la troisième évacuation d’Aved. « Avec l’expérience, on commence à les sentir arriver », dit-il, lui qui avait été quelques mois à Calais (Pas-de-Calais), avant d’être évacué une première fois de la porte de la Chapelle, il y a deux semaines. Renvoyé vers l’Italie, il est revenu en quatre jours vers le seul endroit qu’il connaisse à Paris. « Asile », répète régulièrement son voisin, qui n’a pas le même niveau d’anglais.
Comme eux, Youssouph, un Soudanais de 25 ans, était déjà là lors de la dernière évacuation. Hébergé plusieurs semaines dans un centre en banlieue parisienne, il est revenu porte de la Chapelle, « parce que c’est plus pratique ». Embauché au noir sur des chantiers dans le nord de Paris, il préfère rester sur le trottoir ici que « dans des centres très loin où on est tout aussi entassés ».
« On n’aurait pas laissé deux mille chats crever là »
« La répétition de ces évacuations tourne à l’absurde » a critiqué, vendredi, Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. A l’unisson, tous les riverains ne croient pas aux « promesses de changement » du nouveau gouvernement. « Tant qu’on n’ouvre pas plus de centres ailleurs, on sait que ça va recommencer », dit Laura, du haut de sa tour auréolée d’un panneau de publicité « Life is Good ». « Si c’était dans des beaux quartiers, on aurait trouvé la solution très vite, reprend-elle, mais il n’y a que les miséreux pour s’occuper des miséreux. »
Sur le trottoir, Adama, un Camerounais qui vit en France depuis douze ans, est venu regarder cette « opération de routine », qui mobilisait 350 policiers et une centaine de membres d’associations. Habitant du boulevard Ney, dont le trottoir le long du stade des Fillettes était encore couvert la veille de centaines de matelas, il venait parfois aider à la distribution de repas, le soir, juste en face du centre de valorisation des déchets et encombrants de la Ville de Paris.
« On n’aurait pas laissé deux mille chats crever là, au soleil, sans eau, tout le monde serait devenu dingue », lance ce vendeur en électronique dans le quartier de Château-Rouge. Lui n’a pas eu le temps de dire au revoir aux quelques jeunes hommes avec qui il avait sympathisé ces dernières semaines, mais il sait qu’il « les reverra d’ici quelques jours ». « Ici, personne ne se fait d’illusion », lance-t-il, avant de s’exclamer : « Il paraît qu’on peut connaître quelqu’un en fouillant ses poubelles, alors la France a un beau miroir ici. »
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Devant les monticules de déchets, les services de nettoiement municipaux n’ont pas pris ce temps-là. En quatre heures, une bonne partie des détritus avait déjà disparu.
En début d’après-midi, Laini, un Nigérian de 27 ans, parvenait à rallumer son téléphone. « Bien arrivé au gymnase de Sarcelles Saint-Brice », écrivait-il. « Il fait moins chaud », dit Laini, qui, le matin même, reconnaissait qu’il « prendrait peut-être l’option du retour au pays ». La voix blanche, il confiait « être à bout de ce qu’on peut supporter en tant qu’humain ». « J’ai l’impression qu’on m’a vidé de toute énergie vitale. »
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/07/07/evacuation-des-campements-de-migrants-dans-le-nord-de-paris_5157051_1654200.html#qt5j20iEEPDSmYqC.99
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