On voit régulièrement des enfants apparaître dans des vidéos réalisées par Daesh et exécuter des prisonniers. Pour nourrir une adhésion aussi aveugle à ses principes, le « Califat » a mis sur pied un système éducatif très sophistiqué. Décryptage.
Daesh aime exhiber des enfants dans ses vidéos. Il est en général question de les montrer en train d’assassiner des prisonniers capturés. Si le « Califat » multiplie attentats et diffusions de scènes atroces, celles incluant des enfants frappent tout particulièrement le public occidental, saisi par l’effroi et le dégoût.
Mais que se passe-t-il pour ces enfants grandissant sur les terres de l’Etat islamique, une fois les caméras éteintes? L’organisation djihadiste accorde une grande importance à ces garçons qu’elle appelle ses « lionceaux » et à ces filles qu’elle appelle ses « perles ».
La recherche d’une « pureté » idéologique
Ces enfants viennent de différents horizons: il y a ceux qui vivaient en Irak et en Syrie et que l’avancée de Daesh a rattrapés, il y a ceux qui sont venus dans les bagages de leurs parents venus d’Occident pour mener le djihad au Moyen-orient en famille, et il y a ceux qui, chaque jour, naissent sur le territoire du « Dar al islam » selon la dénomination employée par l’organisation d’Abou Bakr al Baghdadi, qui mène une politique résolument nataliste. Au bout « d’un an à dix-huit mois maximum » après leur mariage, les femmes sont tenues d’enfanter, assurait Le Parisien il y a quelques mois. Au besoin, les troupes djihadistes enlèvent les gamins locaux.
Endoctriner un individu à son plus jeune âge intéresse Daesh à plusieurs niveaux: en plus de permettre de sidérer le public en-dehors de ses frontières, la démarche permet également d’inscrire le mouvement dans la durée en lui assurant un vivier où puiser de nouveau soldats. Enfin, elle vise à former des combattants « idéologiquement purs », et non pas marqués par les valeurs séculières et convertis sur le tard comme certains de leurs parents, comme l’explique ce reportage de Frontline où témoignent des enfants auparavant embrigadés par Daesh. Pour ce faire, la dictature salafiste a dû mettre sur pied un système sophistiqué d’éducation et de prise en charge des enfants.
L’éducation, un champ de bataille pour les djihadistes
La fondation britannique Quilliam s’est longuement penchée sur le quotidien et les méthodes d’enrôlement de la jeunesse dans le « Califat » et a publié un rapport de 100 pages sur la question intitulé « The Children of Islamic State » . Nikita Malik est chercheuse auprès de la fondation, et elle a co-écrit ce rapport. Elle revient sur son étude auprès de BFMTV.com.
Elle commence par rappeler que l’endoctrinement des enfants dépasse largement le djihadisme moyen-oriental et concerne l’ensemble de la galaxie islamiste:
« Vous savez, en Afrique, Boko Haram (dont le nom complet signifie « l’éducation occidentale est un pêché ») et les Shebab (tiré d’un mot arabe signifiant « jeunesse ») montrent l’importance des thèmes de l’éducation et de la jeunesse pour ces mouvances. Il faut dire qu’il est traditionnel d’utiliser les enfants comme espions. Et ils sont très efficaces car plus vulnérables que les adultes à la manipulation, ce qui en fait de véritables armes de guerre! »
Daesh utilise de vieilles recettes
L’intérêt de Daesh pour la « pédagogie » remonte à loin. La pratique du « Devchirme » par l’empire ottoman en Turquie est une première racine. Il s’agissait pour les califes d’enlever des enfants aux confins de leur territoire, de les convertir de force à l’islam et d’en faire des esclaves taillables et corvéables à merci au service du sultan. Ces jeunes remplissaient ensuite l’administration impériale ou devenaient des janissaires, des soldats d’élite.
Une autre tradition semble influencer les cadres de l’Etat islamique: les Futuwah (qu’on traduit par « avant-gardes de la jeunesse »), ces sections paramilitaires mises en place par le parti Baas de Saddam Hussein dans les années 70 pour embrigader les plus jeunes. Plus tard, dans les dernières années du régime, le dictateur a même décidé la création dune autre organisation d’enfants-soldats: les « Ashbal Saddam » c’est-à-dire « les Lionceaux de Saddam ».
Nikita Malik dresse cette comparaison mais en pointe aussi les limites: « Les points communs, dans l’uniforme ou encore les méthodes employées, entre les jeunesses de Saddam et ce que fait l’Etat islamique aux enfants aujourd’hui sont nombreux. Mais ce qui est unique avec Daesh, c’est l’âge où commence l’endoctrinement. On trouve des enfants de quatre ou cinq ans dans des camps militaires où on les entraîne. Et je parle d’entraînement physique. On leur donne des armes dont on leur apprend le maniement, on leur apprend à améliorer leur coordination physique. »
Le rôle complexe des mères
La chercheuse a même entendu parler, via un dossier de l’ONU, de l’existence d’un groupe paramilitaire à destination de la jeunesse appelé « Fityan al islam » (« Les garçons de l’islam ») mais son enquête ne lui a pas permis d’établir avec certitude sa réalité.
Ce qui est sûr, c’est que l’organisation a échafaudé un système éducatif très étendu et que celui-ci va bien au-delà de l’armée et des enseignants:
« On constate que, particulièrement pour celles qui viennent de l’ouest, les mères font partie intégrante du processus d’auto-renforcement de la radicalisation dans le foyer. L’endoctrinement passe aussi par les histoires qu’on raconte aux enfants en les bordant dans leur lit le soir. »
Le cas des enfants d’esclaves sexuelles
as question cependant pour Daesh d’encourager les cours à domicile. Les institutions sont très sourcilleuses lorsqu’il s’agit de contrôler que les enfants vont à l’école tous les jours. Il est ainsi plus aisé de surveiller la conformité de ce qu’on dit aux enfants avec les préceptes de l’Etat islamique. Dans certains cas, ce souci peut même pousser l’administration à aller arracher les enfants dans les bras de leurs mères:
« Je ne suis pas totalement sûre de l’ampleur de l’emprise de Daesh sur les enfants au détriment des mères. Ce que je sais, en revanche, c’est que pour lorsque les femmes yézidies, qui servent d’esclaves sexuelles aux soldats, accouchent, on leur prend immédiatement le bébé si c’est un garçon. Elles peuvent le garder si c’est une fille. »
Sur les bancs des écoles du « Califat »
On a une vision précise de ce que sont les écoles mises en place par Daesh. Les cours y ont lieu du dimanche au jeudi et les enfants qui y assistent ont entre six et quinze ans, garçons et filles étant strictement séparés. Là où les choses diffèrent grandement avec les circuits scolaires habituels c’est dans le panel de matières soumises à la curiosité des élèves.
Beaucoup de disciplines ont été purement et simplement supprimées car perçues comme porteuses des germes de « l’athéisme » et de l’influence de l’Occident: le dessin, la philosophie ou tout ce qui ressemble à des sciences humaines, la musique, par exemple.
Les sujets qu’on inculque aux petits sont les suivants: mémorisation du Coran, enseignement du Tawheed (le « monothéisme »), du Fiqh c’est-à-dire l’application concrète des textes sacrés dans la vie quotidienne, de la « Croyance », des hadith (la tradition relative aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons) ou encore de la vie de Mahomet.
Des matières défigurées
Quand les matières scolaires traditionnelles sont conservées, elles sont défigurées pour s’accorder avec la volonté d’embrigadement du « Califat », comme l’éducation physique qui n’est plus pour les garçons qu’une vaste sinécure paramilitaire. Nikita Malik ajoute:
« On va aborder l’histoire et la géographie bien sûr mais seulement pour servir la propagande. Par exemple, on explique aux élèves que Daesh est le seul Etat légitime, qu’aucun autre, pas même l’Arabie saoudite, ne l’est. On raconte aussi l’histoire de l’ascension d’Abou Bakr al Baghdadi jusqu’au sommet de l’Etat islamique. Il y aussi des problèmes de maths qui impliquent des grenades, des fusils, des tanks. On les habitue à la violence. »
Diwan al Ta Aleem, le ministère de l’Education nationale de Daesh
our que l’accoutumance aux atrocités aille plus vite encore, on force régulièrement les petits à regarder ces vidéos sanglantes qu’affectionne les terroristes. Cet aspect totalisant de l’éducation dispensée par Daesh à ses pupilles pourrait même aller plus loin: « Honnêtement, je ne serais pas surprise qu’ils aient créé des maternelles », observe Nikita Malik.
La pédagogie salafiste emprunte aussi des voies plus inattendues. La chercheuse de la fondation Quilliam évoque ainsi la création d’une application sur les téléphones diffusant de la poésie islamique. Toutes ces initiatives et ce système sont patronnés par une même entité administrative: le Diwan al Ta Aleem, qui agit comme l’équivalent d’un ministère de l’Education: « On en connaît peu de choses, mais ce qu’on sait c’est qu’il publie des communiqués tous les jours: ça va de consignes sur la tenue à porter en cours à un changement d’horaire pour la fin des cours. C’est finalement une institution qui ressemble un peu à ce qui se fait ailleurs. »
Une touche de normalité qui fait apparaître d’autant plus effrayantes les horreurs qu’elle rend possible.
Par Robin Verner
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