89 soldats français tués en Afghanistan… et déjà oubliés ?

20 Nov 2016 | Revue-de-Presse | 0 commentaires

Pour rendre hommage à ces jeunes gens morts en Afghanistan, un écrivain a rencontré leurs proches. Récits de deuils de guerre dans la France du XXIe siècle.
Nicolas Mingasson (à gauche) à Tagab, dans l'est de l'Afghanistan, en 2010 avec un soldat du 21e RIMa (Régiment d'infanterie de marine). Nicolas Mingasson (à gauche) à Tagab, dans l’est de l’Afghanistan, en 2010 avec un soldat du 21e RIMa (Régiment d’infanterie de marine). © DR Nicolas Mingasson, photographe et écrivain, avait suivi le quotidien d’un militaire français en Afghanistan  et tiré de ce compagnonnage d’un an un beau livre, Journal d’un soldat français en Afghanistan, paru en 2011 chez Plon. Aujourd’hui, l’engagement de notre pays dans ce long conflit a pris fin, mais cette guerre a fait des morts, des morts « pour la France », comme on dit, et a laissé des familles endeuillées. Pour son dernier ouvrage 1 929 jours (Les Belles Lettres, 23 euros), Nicolas Mingasson est allé rencontrer des parents, des conjoints mais aussi des compagnons de combat de ces soldats tués en Afghanistan et leur a fait raconter, avec beaucoup de délicatesse, ce que peut être le deuil de guerre au XXIe siècle. Interview.

Le Point.fr : Combien de soldats français sont morts en Afghanistan ?

Nicolas Mingasson : Quatre-vingt-neuf. Sur une période de 11 ans d’engagement, et alors que 70 000 militaires français sont partis combattre là-bas, on peut dire que ce sont des pertes minimes. Le nombre de tués parmi les militaires américains et surtout parmi les Afghans est bien plus important, c’est d’ailleurs la population civile afghane qui a surtout trinqué dans ce conflit : elle se fait aujourd’hui encore tailler en pièces. Alors 89, c’est peu, mais ce sont malgré tout autant de familles françaises touchées par le deuil et qui ont bien souvent le sentiment d’être très seules. Elles vivent au moment du décès une semaine intense, sont pendant quelques heures le centre de l’attention médiatique, il y a les cérémonies, aux Invalides et dans les régiments, et puis après, plus rien. Or ces parents, ces épouses ont un immense besoin de reconnaissance, elles veulent que l’on sache que leur fils ou que leur conjoint est mort pour la France, elles ont surtout besoin de parler de leur deuil de guerre, qui n’est pas du tout un deuil comme les autres.
Les mots qu’utilisent les familles endeuillées sont très proches de ceux qu’utilisaient celles des soldats morts au front en 1914

La guerre moderne, à distance, « chirurgicale » comme on dit, au fond c’est une mythologie…

Bien sûr, il y a des pilotes de drones qui vivent au Texas et font effectivement une guerre à distance, et il y a bien eu en Afghanistan une disproportion de moyens techniques mis en œuvre face aux combattants afghans. Il n’empêche que le lot de l’écrasante majorité des soldats partis là-bas, c’était de monter le matin dans un blindé et d’aller en mission sur le terrain, avec le risque de se faire tirer dessus ou de sauter sur une mine. La guerre des années 2000 est une vraie guerre, pas un conflit virtuel. D’ailleurs les mots qu’utilisent les familles endeuillées sont très proches de ceux qu’utilisaient celles des soldats morts au front en 1914… Au fond, rien n’a changé. Ainsi lorsque la famille du soldat vit dans un village éloigné de toute garnison, c’est encore aujourd’hui au maire d’aller annoncer la nouvelle à la famille. Plusieurs proches m’ont raconté cela : la voiture du maire qui passe et qui repasse devant les fenêtres, le maire endimanché en costume cravate qui se présente à la porte, et brutalement, avant même qu’il ouvre la bouche, la famille qui comprend. Ce sont des scènes tout à fait semblables à celles vécues en 14-18.

Pourquoi le deuil de guerre est-il si particulier ?

D’abord parce que ce sont par définition de très jeunes gens qui meurent. Ensuite, parce que la mort se passe loin, dans un lieu et surtout dans des circonstances que les familles peinent à se représenter. Il faut ensuite attendre le retour du corps. Et puis il y a tout le cérémonial, qui peut aider d’une certaine manière les proches mais complique aussi parfois les choses. Une veuve m’a raconté qu’elle avait expliqué à sa petite fille de 5 ans qu’elle ne pourrait pas voir son papa, endormi pour toujours, mais qu’elle pourrait voir le cercueil, la boîte en bois dans lequel on l’avait placé. Seulement, le jour de la cérémonie, le cercueil était recouvert d’un drapeau, la petite n’a pas vu la boîte, elle n’y comprenait plus rien. On l’a heureusement laissé s’approcher et soulever un peu le tissu, tant pis pour le protocole.
Ce long conflit a obligé l’armée française à réfléchir à ses pratiques et à mettre en place des procédures plus humaines.

L’armée française prend-elle bien en charge les familles endeuillées ?

Je dirais qu’entre le début et la fin de la guerre en Afghanistan, d’énormes progrès ont été faits. Pour la prise en charge des corps, le soutien apporté aux familles, le cérémonial, la gestion du stress post-traumatique, on n’imagine pas combien ce long conflit a, comme celui de 14, obligé l’armée française à réfléchir à ses pratiques et à mettre en place des procédures plus humaines.

Quelle histoire vous a le plus marqué ?

Impossible d’isoler un cas, une famille… Mais j’ai été profondément frappé par ce que l’on m’a raconté de la chambre mortuaire de Kaboul. Ce qu’a vécu le personnel médical chargé de reconstituer des corps parfois très abîmés pour les rendre à leur famille est d’une dureté inouïe. Mais il y a une grande solidarité, ils agissent par devoir pour le camarade tombé.

Pourquoi ce titre, 1 929 jours ?

Lors d’un entretien avec une mère, j’ai – à ma grande honte – dû lui redemander la date du décès de son fils, dont je ne me souvenais plus. Et elle m’a tout de suite répondu : « Cela fait 1 929 jours. »  Elle comptait.

 

Source : lepoint

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