Plongée au coeur du malaise policier. [….] Nadine, qui tient le guichet. A 60 ans, Nadine a été recasée là, après une vie de barmaid au foyer des CRS. […] Le jour de la visite de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, une jeune fonctionnaire a pourtant été installée à la place de Nadine. Des voitures neuves avaient aussi été prêtées par la préfecture de Cergy, en cache-misère des guimbardes de Sarcelles, et des agents amenés d’autres commissariats, pour faire masse. « C’est normal que les officiels ne comprennent rien : à chaque fois, on monte un décor pour faire croire que tout va bien, dit un fonctionnaire. Mais ce qu’on vit, d’autres institutions le vivront aussi. On est juste à l’avant-poste. »
Sylvie, major exceptionnel, évite tout signe distinctif quand elle quitte le boulot. « C’est le monde à l’envers : normalement, c’est pas à nous de nous cacher. » Devant les commissariats, les flics gardent maintenant les flics, ambiance bunker, la police contre le reste du monde. La parole aussi est barricadée, comme s’il y avait la peur et la honte de la peur. « Qu’est-ce qu’on peut dire ? On est censés représenter la force et on se fait tirer comme des lapins », lâche le bonhomme de permanence. […]
« Aujourd’hui, le magistrat lui-même démonte les enquêteurs. Depuis que la procédure s’est incroyablement compliquée, le vice de forme est devenu une hantise », reprend Yann Le Poulard.
Les appels radio se succèdent au poste, dans la pièce à côté. […] des jeunes en bande caillassent le tram. « On va les attraper, Ils vont dire que c’est pas eux, le procureur sera encore de leur côté », s’énerve une très jeune femme. Elle en parle comme d’une trahison. […]
Aujourd’hui, les vols avec violence sont devenus la priorité – arrachages de sac et de portable surtout. Sarcelles détient le record du Val-d’Oise, plus de mille par an. Un service spécifique a été crée en 2015, au sein du groupe de la répression des violences aux personnes. Déjà passée de huit fonctionnaires à trois, la brigade des mineurs y avait été dissoute dans le cadre d’une réforme nationale. « Notre spécificité a disparu, on l’a très mal pris », estime Nadège, brigadier-chef. « Une enquête de viol, c’est long, sans intérêt statistique. Maintenant, on appelle parfois les victimes trois ans après les faits. » Un arrachage, en revanche, « ça se résout tout de suite, du résultat facile, ça brille », explique une autre. Le nouveau service décroche les meilleurs résultats du département – « A la préfecture, la directrice connaît nos noms. »
Ici comme ailleurs, la drogue a tout bouffé, tout étouffé, tout acheté, y compris la paix sociale. Les « violences urbaines » ont sacrément chuté, le business aime le calme. Maintenant, les bagarres ont surtout lieu à la poste, le jour du versement des allocations. N’empêche. […] « Mains contre le mur », dit Ludo, dans le hall. « Tu me contrôles parce que je suis noir ? Délit de faciès », dit un petit nerveux. Il a tutoyé les flics, tout de suite. […] Dans la voiture, un des équipiers rouspète. « Ils se sentent protégés de nous. Les associations n’arrêtent pas de monter au créneau, les médias suivent. » A l’avant, le second relance. « Toujours devoir se justifier. Eux, ils ont juste à dire qu’on a tort pour être crus. Quel délit de faciès ? Il n’y a pas de Blancs ici, à part les flics, les profs et les pompiers. » Il parle de son métier, qu’il n’ose plus évoquer en famille. De sa cousine, professeure en milieu rural. « Elle ne voit pas ce qu’on vit. Pour elle je suis le diable, limite une carte FN collée sur la tronche. » En intervention dans les quartiers, Ahmed, de police-secours, se fait régulièrement traiter de « vendu ». Il n’aurait peut-être pas choisi ce métier quand il était môme, dans les années 1980. A ses débuts à Tourcoing, dans le Nord, voila quinze ans, dit-il, il y avait encore des « commentaires ». Il complète : « de mes propres collègues ». […]
Garges-lès-Gonesse est à l’autre bout du district : un commissariat imposant, construit en forme de revolver. Sous les plafonds majestueux, les mots résonnent comme dans une cathédrale déserte : ils ne sont plus qu’une quinzaine depuis le rattachement à Sarcelles. La chaudière vient d’éclater. Elle ne sera pas changée : trop cher. Des radiateurs ont été apportés, certains de chez soi. Ici, on traite surtout les stupéfiants et la délinquance financière. « On nous demande de prioriser les fraudes contre la Caisse d’allocations familiales et la Sécurité sociale », dit une fonctionnaire. « Il n’y en a pas tant que ça – de la survie, surtout. »
arfois, quelqu’un appelle pour s’inquiéter d’un autre dossier. Presque invariablement, il s’entend répondre : « Ecrivez au parquet. » Il arrive que le parquet envoie à son tour un papier bleu : où en est l’enquête ? Alors, un fonctionnaire descend à la cave. Il traverse un fouillis de plantes en plastique, rescapées d’une visite officielle, et de vélos datant de l’époque où devaient se lancer des brigades à deux-roues. Et là, tout au fond de ce cimetière des ambitions brisées, le fonctionnaire ouvre un placard. 1.846 dossiers sont alignés : escroquerie, abus de confiance, paiement frauduleux… Le fonctionnaire pose le papier bleu sur l’affaire qui lui correspond. Au hasard : l’arnaque d’un joli moustachu de Sarcelles contre une infirmière de Rodez, rencontrée sur Meetic, 2.850 euros en 2013. Puis le fonctionnaire remonte. Il faudrait dix plein-temps pendant six mois pour les écluser. « Alors on attend que les procédures meurent toutes seules. » […]
Entre 2012 et 2014, quatre suicides ont frappé les équipes de Sarcelles.
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