Profitant de la méfiance des Tchèques vis à vis de leur classe politique et des « ordres de Bruxelles », le mouvement populiste ANO du milliardaire Andrej Babis, qualifié de « Trump tchèque », a largement remporté les élections législatives.
Le scrutin de vendredi et samedi aura vu aussi une percée spectaculaire du parti d’extrême droite SPD, anti-immigration et anti-UE, et celle d’une formation « anti-système », le Parti Pirate, selon les résultats officiels publiés après le dépouillement dans 99,9% des bureaux de vote.
ANO (« Oui » en tchèque), qui a fait campagne sur la lutte contre la corruption, contre l’accueil des migrants et la zone euro, obtient 29,7 % des voix, soit 78 sièges à la chambre basse qui en compte 200.
Campagne de désinformation
« Nous sommes enthousiastes. Nous remercions nos 1,5 million d’électeurs, ça dépasse nos attentes, car il y a eu une campagne de désinformation massive contre nous », a réagi M. Babis lors d’une conférence de presse.
A plusieurs reprises, il a souligné qu’il était « pro-européen ». « Je ne sais pas pourquoi quelqu’un dit que nous sommes contre l’Europe », a-t-il insisté. « Nous ne représentons pas une menace pour la démocratie ».
« Nous sommes prêts à lutter pour nos intérêts à Bruxelles, nous faisons partie intégrante de l’UE, et de l’Otan », a-t-il poursuivi, avant d’inviter l’Union à « engager une réflexion » et « cesser de parler d’une Europe à deux vitesses ».
Il n’a pas donné d’indication avec qui il comptait former une coalition et le gouvernement, déclarant qu’il avait proposé des négociations à tous les partis entrés au parlement et « attendait leur réaction ».
Il s’agit d’une opération délicate dans une chambre fragmentée entre neuf partis. Deux d’entre eux, l’ODS (droite eurosceptique) et KDU-CSL (chrétien-démocrate) ont immédiatement annoncé qu’ils ne négocieraient pas avec M. Babis.
Le chef du premier, Petr Fiala, a affirmé qu’il y avait chez ANO « des gens qui ont promis beaucoup de choses et qui ne seront pas capables de les réaliser », tandis que le leader chrétien démocrate Pavel Belobradek, a dit qu’il n’irait pas « dans un gouvernement, s’il s’y trouve des gens poursuivis par la justice », dans une allusion aux ennuis de M. Babis avec la justice.
Il reste que près d’un électeur sur trois a donné sa voix au milliardaire controversé qui a réitéré encore à la veille du vote son hostilité à l’accueil des migrants et à la zone euro.
L’ANO est suivi par trois partis ayant obtenu des résultats presque identiques l’ODS (droite), 11,3%, soit 25 sièges, le Parti Pirate, 10,8% (22 sièges) et le SPD d’extrême droite, 10,6% (22 sièges).
Fermement opposé à l’intégration européenne et à l’immigration, le SPD est porté par un courant d’opinion présent ailleurs en Europe de l’Est. Il a reçu le soutien de la présidente du Front National français, Marine Le Pen.
S’il parvient a influencer le futur gouvernement, la République Tchèque pourrait perdre sa place officieuse de « meilleur des mauvais garçons d’Europe de l’Est » au sein du groupe de Visegrad, qui comprend aussi la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie, souvent en froid avec Bruxelles.
En se félicitant d’avoir recueilli plus d’un demi-million de voix, le chef de file du SPD Tomio Okamura a répété que son objectif était « d’arrêter toute islamisation de la République tchèque » et d’imposer « une tolérance zéro de la migration », voire de promouvoir un référendum sur la sortie de l’UE.
Les Tchèques ont par ailleurs durement sanctionné le Parti social-démocrate CSSD du Premier ministre sortant Bohuslav Sobotka qui subit une chute brutale et n’arrive que 6e, avec 7,3 % des voix, soit 15 sièges.
Quatre autres partis franchissent également le seuil d’éligibilité de 5%: le Parti communiste KSCM, nostalgique de l’ancien régime totalitaire, 7,8%% (15 sièges), les chrétiens-démocrates KDU-CSL 5,8% (10 sièges), et deux petits partis centristes, TOP 09 et STAN, 7 et 6 sièges respectivement.
Couches défavorisées
Bien qu’il soit milliardaire, et qu’il soit inculpé pour fraude aux subventions européennes, M. Babis est porteur d’espoir pour ceux qui se considèrent comme les laissés pour compte de la prospère société tchèque.
En dépit de la bonne marche de l’économie, qui a affiché un taux de chômage de 3,8% en septembre et prévoit une croissance de 3,6% cette année, il y a au sein de la société tchèque des groupes sociaux relativement défavorisés qui sont soit lourdement endettés, soit doivent travailler très dur pour joindre les deux bouts, accusant les élites politiques traditionnelles d’en être responsables. Bon nombre d’entre eux soutiennent M. Babis.
© 2017 AFP
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