Deux contre un. Le débat sur le changement de nom a tourné à l’avantage du Front national entre ces trois militants de l’Hérault réunis un lundi de janvier, à Béziers.
Franck Manogil, le minoritaire, a bien tenté de glisser un début d’argumentaire, entre le fromage et le dessert. » Il faut abandonner tout ce qui peut être un frein à la victoire. Si le nom en est un… « , ose le conseiller départemental. Aussitôt dit, aussitôt repris. » Les gens se sont habitués, le nom n’est pas le problème « , le sermonne la militante historique qui lui fait face. Sa première carte siglée FN remonte à 1986. Lui, à 2013. » J’espère que ce ne sera pas juste pour faire du neuf avec du vieux, grince le troisième en bouclant le tour de table. Sinon, elle se goure complètement. » Elle, c’est leur » présidente « . Et elle est justement la première avocate du changement de nom du FN.
De télé en radio, de discours de vœux en déjeuners militants, Marine Le Pen le réaffirme dès qu’elle le peut, et depuis plusieurs semaines : elle est » pour » rebaptiser le parti d’extrême droite ; » ne renie rien « , mais liquide tout de même. Après l’exclusion de son père – qui reste toutefois à la présidence d’honneur par décision de justice jusqu’au congrès des 10 et 11 mars://3 à Lille – la benjamine des Le Pen s’attaque désormais à un autre lourd héritage. Pour aller chercher les électeurs qui lui ont manqué pour entrer à l’Elysée, elle ne jure désormais que par cette » refondation » claironnée depuis la défaite. Et par son symbole : le nouveau nom.
» Moins guerrier »» Nous ne sommes pas là pour penser à nous-mêmes mais à ceux que nous devons conquérir « , lançait-elle à Caudry devant les militants du Nord, le 21 janvier. A ceux du Puy-de-Dôme, quelques semaines plus tard, elle expliquait que » le premier compromis incontournable, c’est le changement de nom « . Et son entourage de reprendre en écho. » On ne peut pas mener des stratégies en étant à cloche-pied, développe l’un de ses conseillers. On ne peut pas chercher l’ouverture, clôturer l’ère Jean-Marie Le Pen et garder le nom d’un groupuscule des années 1970. » Une nouvelle marque, pense-t-on au FN, faciliterait les alliances, surtout au niveau local. » Front national, c’est peut-être compliqué à vendre pour nos alliés, en interne « , admet un cadre.
Seulement, les troupes frontistes ne sont pas si aisées à convaincre. » Je comprends l’inquiétude de certains. Dans le simple fait de dire “il faut changer de nom”, il y a un caractère anxiogène. Si on leur demande “vous voulez changer pour tel nom”, beaucoup sont rassurés « , affirmait Marine Le Pen au Monde, fin janvier.
La question posée ne sera donc pas » êtes-vous favorable au changement de nom « , comme dans le questionnaire envoyé aux 51 487 adhérents, mi-décembre 2017, et dont les résultats des quelque 27 000 retours annoncés se font toujours attendre. » On demandera plutôt êtes-vous pour le parti du soleil ? Oui ou non « , s’amuse le secrétaire national aux fédérations, Jean-Lin Lacapelle. Car chacun y va de sa petite idée quant à la future appellation du parti. » Tout le monde lui en propose tout le temps « , remarque un autre adepte du changement, favorable à » quelque chose de moins guerrier « . La flamme, elle, subsistera peut-être. Pour laisser une idole aux fidèles ? » Pour ça, conclut un proche de la dirigeante, on a encore le nom Le Pen ! »
Marine Le Pen annoncera très certainement sa » suggestion » à la tribune, le dimanche du congrès. Suivra un vote, quelques jours après. Pourquoi ne pas profiter du grand rassemblement de mars pour enfiler ce nouveau nom ? Les nouveaux statuts, qui doivent être adoptés au congrès, vont justement permettre une consultation de l’ensemble des adhérents par voie électronique, justifie-t-on à l’unisson, au FN. Heureuse partition permettant de décorréler le changement de nom de la réélection de Marine Le Pen à la tête du parti.
Les apparences à sauverCar si elle la présente comme le seul moyen de terminer la mue du FN de » parti d’opposition en parti de gouvernement « , cette nouvelle étiquette peut surtout être la bouée de sauvetage de l’ancienne candidate à la présidentielle. L’explication des voix manquantes à son élection se trouve en effet peut-être ailleurs, et notamment dans le piteux débat d’entre-deux-tours qui a laissé des traces dans l’électorat. Sa légitimité entamée, reste les apparences à sauver, pour espérer rebondir. Par un plébiscite des adhérents au congrès, qui ne devrait pas manquer, puisqu’elle est la seule à candidater. Et par l’intronisation d’une appellation nouvelle, donc, qu’elle incarnerait.
En interne, hormis Bruno Gollnisch et Marie-Christine Arnautu – proches du père et anti-changement de nom –, la prudence générale est de retour, depuis que la fille a officialisé sa position. Certains osent s’interroger du bout des lèvres, contre une promesse d’anonymat, sur le risque de déperdition aux élections européennes de 2019, sans l’étiquette FN : » On pourrait peut-être faire le changement après, parce que si, en plus, on met une tête de liste inconnue de nos électeurs… » L’idée d’une » tête de liste d’ouverture » est, en effet, évoquée après que Marine Le Pen a refusé d’en prendre les rênes.
» Elle clame “la refondation, la refondation”. Si elle veut la faire, il faut bien que ça se matérialise par un changement un peu concret… « ,bredouille un responsable frontiste, pour qui le chantier du rassemblement est peut-être ailleurs. Convaincre des alliés de les rejoindre ou les militants de s’ouvrir ne serait pas le plus compliqué, selon lui. » Mais avec les cadres… La culture du compromis n’est pas vraiment dans l’ADN du FN. Et là, il va falloir être capable de ne pas manger tout cru celui avec qui on travaille. »
Lucie Soullier
lemonde.fr
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